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IAG #3 : retour d’expérience pragmatique et dépassionné

4 mois ago
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Yann Gourvennec, créateur de Visionary Marketing, est aussi un utilisateur de longue date de ce que l’on nomme (peut-être improprement) l’Intelligence Artificielle. 

Il nous livre, dans le cadre de notre dossier consacré à ce sujet, un point de vue éclairé sur l’usage des IA, et notamment des IAG.

A noter sur vos tablettes : ce dossier en cours donnera lieu à une table ronde le 2 février prochain à 11H, avec la participation de plusieurs experts de la question, dont Yann Gourvennec, David Fayon, Raphael Richard, Fred Canevet, et d’autres dont nous communiquerons les noms ultérieurement.

 

Retour d’expérience pragmatique et dépassionné

Je vous propose ici un retour d’expérience sur mon utilisation des IA, génératives ou non, dans le cadre de la création de contenus. Cela fait maintenant plusieurs années que l’on parle de ce sujet, sur lequel nous écrivons depuis 2020, même si le grand public n’a découvert ChatGPT qu’en 2023. Nous avons donc assez de recul pour évoquer l’importance de ces technologies dans le cadre de la création de contenus et de notre travail quotidien. Certes, il est difficile d’y voir clair et bien malin celui qui peut prédire l’avenir.

Il ne s’agit donc pas ici d’avancer péremptoirement des hypothèses qui pourraient très bien être contredites demain, mais de se pencher sur le travail qui a été effectué ces dernières années et d’en évaluer les retombées. Je vous propose donc un retour d’expérience pragmatique, sans envolées lyriques ni négatives.

Il y a plus de trois ans, suite aux premières démos de GPT et des premiers essais des outils intégrant cette technologie, comme Rytr, je faisais part de quelques prédictions et intuitions.

D’abord, je prédisais que ces outils pourraient être utilisés pour créer du contenu de masse, alias contenu SEO. J’avançais également que les moteurs de recherche essaieraient de se battre pour contrer cela et contrecarrer ces IA génératives dans une tentative, probablement vaine, de maintenir leur qualité de recherche. Je prédisais également que les lecteurs les plus avisés, et notamment en B2B, se détourneraient probablement de ces contenus, à partir du moment où un doute existerait quant à leur authenticité, et qu’ils se tourneraient, dans une sorte de pirouette, vers les médias et les sources d’autorité qu’ils ont délaissés ces dernières années.

Trois ans plus tard, certaines de ces prédictions et intuitions se sont révélées justes, d’autres beaucoup moins. Il existe aussi un halo d’incertitude entourant certains de ces points, entretenu par un buzz constant et irrationnel, propice à brouiller toutes les pistes et à noyer même les plus clairvoyants d’entre nous.

 

L’IAG produit déjà du contenu en masse

D’une part, il est certain que du contenu de masse est en train de se créer. Des confrères auraient déjà repéré de manière systématique des contenus produits par IA génératives sur des sites Web B2B. Tant pis pour eux. Je ne vois pas sur le terrain cette folie gagner les gens sérieux. Dans le monde du B2B, on cherche toujours l’authenticité et la voix du client, et mes missions récentes ne me montrent pas de point d’inflexion en ce domaine.

Il est donc difficile de conclure qu’il y aura un impact négatif sur le contenu en B2B, mais on peut largement prédire que les contenus moins engageants, ou plus banals, ou ayant peu d’impacts pour l’image de marque, subiront une massification de leur production par les IA génératives. Pas de doutes non plus sur l’opportunisme de certains qui, voyant leurs modèles économiques flancher, en profiteront pour licencier et sous-traiter le travail à des machines.

Sur les moteurs de recherche, il semblerait que, si ces moteurs de recherche décident d’utiliser l’IA générative pour se transformer définitivement en moteurs de réponses et finir de tuer une des fonctions clés du Web, non seulement ils vont se tirer une balle dans le pied, mais ils vont réussir également à changer radicalement la face de l’Internet et la façon dont les créateurs de contenus travaillent.

La recherche de visites et d’audiences de masse fera donc probablement partie du passé d’ici peu. On ne s’en plaindra pas. Quel intérêt en effet aurait encore un producteur de contenus à essayer de faire de la masse sur Internet en utilisant des moteurs de recherche qui détourneront son contenu pour envoyer les utilisateurs ailleurs ?

Affaire à suivre, trop de milliards sont en jeu pour qu’on tire de ces annonces des conclusions hâtives. Par contre, on peut préparer l’avenir autrement qu’en répétant le passé. Par nature, nous allons devoir retrouver une proximité avec nos communautés et changer la façon dont nous communiquons sur Internet.

 

Les différents types d’IA

Il y a plusieurs façons de réagir. D’une part en se lamentant que le monde d’aujourd’hui n’est plus comme celui d’avant. D’autre part, en embrassant le changement et en cherchant l’innovation autour des fondamentaux du Web qui semblaient l’avoir quitté : l’esprit de communauté, l’échange et le bénéfice commun.

C’est d’ailleurs pour cela que dans notre nouvel ouvrage, le marketing digital de @ à Z, nous avons dédié une partie entière sur les sept qui composent le livre, au marketing des communautés et du bouche-à-oreille.

Mais revenons sur notre retour d’expérience. Il convient de scinder les outils de l’IA en plusieurs types (sans souci d’exhaustivité) :

  • D’abord, les IA génératives destinées à produire des images
  • Ensuite celles destinées à produire du texte
  • Enfin, les outils que j’appellerais « discrets », qui permettent de réaliser une seule tâche à la fois avec efficacité.

 

Retour d’expérience des IAG pour les images

Première catégorie, les IA génératives productrices d’images : Celles-ci se sont répandues rapidement dans la communauté avec une prédominance certaine de Midjourney pendant une bonne partie de l’année 2023, probablement concurrencée légèrement par DallE-3 depuis l’automne. C’est probablement la catégorie qui m’a le plus intéressé.

Elle a permis d’étendre la capacité d’illustration de nos contenus de manière intéressante. Mais avec des limitations que nous n’avons comprises qu’au fil du temps. Comme j’ai pu le rappeler dans un retour d’expérience assez long sur ce sujet, nous avons commencé par jouer avec ces outils et à produire tout un tas d’images plus ou moins farfelues et le résultat était enthousiasmant. En effet, grâce à ces logiciels, nous étions capables de produire des images qui n’étaient pas possibles sans eux. La valeur ajoutée était donc indéniable par rapport notamment à des images de stock qui sont très standardisées et surtout limitées dans leur capacité à reproduire une situation.

Malheureusement, avec le temps, avec la généralisation de l’utilisation de l’outil et la persistance de certains utilisateurs à les manipuler à tort et à travers, nous avons établi un certain nombre de constats : d’une part la banalisation de ces images et un effet très net de déjà-vu. Deuxièmement, ces images nécessitent souvent des retouches manuelles, une tâche souvent hors de portée de l’utilisateur moyen, ce qui fait que l’on se trouve face à des images délirantes (notamment dans les textes) ou dans le nombre de doigts, ou avec des bras qui sortent des dos, etc.

Et surtout, c’est le troisième point, une généralisation et une multiplication des images aux couleurs criardes qui finissent par, malgré leur indéniable originalité de départ, produire un effet de lassitude et de banalisation. Des images au départ originales finissent ainsi par devenir banales et standardisées. Ce constat, je n’ai pu le faire qu’au bout d’une longue pratique de ces outils, que très souvent je combine les uns avec les autres afin d’arriver à un résultat correct. Je continue à les utiliser de manière intense, mais pas intensive, en les mélangeant à d’autres modes de visuels, et en passant plus de temps sur la personnalisation de ces images et leur finition, afin d’éviter cet effet de banalisation.

En conclusion, il est probable qu’un jour prochain, une partie du grand public se lasse aussi de ces images et de leur plastique artificielle et stéréotypée. Déjà, des lecteurs reviennent vers nous pour nous réclamer de vraies images et de vraies photos. Cela ne veut pas dire que ces outils n’ont pas d’utilité. Les créateurs de contenus les plus habiles sauront passer plus de temps sur ces outils, pour produire des résultats plus originaux, plus esthétiques et plus différenciants.

En fin de compte, pour ces derniers, la production d’images par IA générative n’est ni une fatalité ni un monstre à abattre, ce sera un simple outil, un outil parmi d’autres, qui viendra se ranger aux côtés des outils déjà disponibles comme les images de stock (également à utiliser avec parcimonie), les véritables photographies, les dessins originaux et toutes ces techniques combinées ensemble.

 

Les outils d’IA discrets

Deuxième catégorie, les outils que j’ai nommés « discrets ». En général, ces logiciels sont moins puissants que les autres, ils ne cherchent pas à résoudre tous les problèmes, mais s’attachent uniquement à une fonction. Dans cette catégorie, je rangerais volontiers des outils basés sur du « simple » machine learning et d’autres qui ne sont pas forcément à classer comme « génératifs ». Ces outils ont un véritable et indéniable apport pour la création de contenu.

Ce sont les outils pour lesquels je m’enthousiasme le plus. Les logiciels de traduction, de transcription, de reconnaissance vocale ou d’écriture manuelle, de sous-titrage… Ils sont innombrables, et parfois spectaculaires (comme les outils de montage par le texte en vidéo). Ce sont de véritables outils de productivité au service du créateur de contenus. Nous les utilisons déjà depuis des dizaines d’années pour certains (comme la transcription vocale, que nous utilisons en ce moment même pour écrire cet article).

[voir une vidéo de ce texte en cours de transcription : YouTube Short à https://youtube.com/shorts/yrjenHmIpXk?feature=share]

À leur sujet, la question du remplacement de l’humain ne se pose même pas. Ces logiciels proposent de véritables gains de productivité, car ils nous débarrassent de tâches pénibles et sans valeur ajoutée. Ce sont pour moi les outils du futur dans la création de contenu. Dont certains finissent même par être intégrés à nos logiciels de création de texte favoris comme Microsoft Word ou Pages.

 

Retour d’expérience des IA textuelles

Troisièmement, les outils d’IA générative textuels. Dont ChatGPT.
Il est difficile de faire la fine bouche et de ne pas être impressionné par la capacité de ces IA à produire des textes de manière automatique, systématique et surtout à la vitesse de l’éclair. Pour autant, mis dans des situations concrètes, notamment pour répondre à des questions complexes et nécessitant une expertise, je n’ai pas trouvé, malgré mes essais persistants, d’utilité à ces outils. Ils produisent (et ici, je ne me limite pas à ChatGPT puisque je les ai essayés quasiment tous) des textes en un temps record.

Mais ceux-ci sont extrêmement verbeux, stéréotypés, malgré ma persistance à essayer de les faire écrire de façon plus concise. En caricaturant, je pourrais les comparer à un étudiant de première année qui ne connaît pas sa leçon et qui essaie de faire des phrases pour impressionner son professeur. Si j’écris sur un sujet dont je ne connais strictement rien, par exemple, l’élevage des chameaux dans le désert de Gobi en Mongolie, il est indéniable que mon gain de productivité sera immense. Je passerai de l’incapacité totale à écrire une ligne à la production d’un livre en quelques minutes.

Le gain de productivité est quasi infini. Quand il s’agit de textes plus sophistiqués, notre quotidien en B2B, je n’ai pas trouvé de valeur ajoutée à ces logiciels à ce jour en dehors de la suggestion de quelques idées pour le brainstorming. Et encore, cela m’a surtout servi comme premier jet pour pouvoir rebondir et sortir d’autres idées plus originales en rejetant la totalité des suggestions de l’IA. Il est bien probable que ces outils s’améliorent et que notamment on leur apprenne à compter.

Le véritable enjeu d’ailleurs sera probablement la prochaine fusion entre l’informatique classique et cette informatique générative. Et je ne doute pas qu’un ingénieur bien câblé n’arrive à résoudre cette équation. Peut-être alors qu’un jour, ces outils nous aideront à construire de meilleurs textes, dépourvus d’hallucinations et de fausses citations et références, mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. Je continuerai donc de les tester et de les regarder. Mais à l’inverse de ce que j’ai observé pour la catégorie numéro deux des IA dites « discrètes », je ne vois pas de gain de productivité ici à court terme avec ses outils.

Ici, je ferai abstraction du fait que ChatGPT soit capable de faire, avec ses plug-ins, à peu près tout et n’importe quoi. Cela doit d’ailleurs passer au-dessus de la tête du commun des mortels. Avec ces plug-ins, on en revient à peu près à la catégorie numéro deux puisque chacun d’entre eux est capable de résoudre un problème bien précis. C’est donc sans doute dans ce sens qu’il nous faudra investiguer.

 

Et l’éthique ?

Mais tout ceci n’est rien par rapport au caractère impérieux de l’éthique et de l’authenticité.

La limitation de ces IA génératives de textes, superbement décrite par Noam Chomsky, et le danger de leur utilisation abusive m’a amené avec de nombreux camarades blogueurs, à créer le collectif 100% humain qui regroupe les auteurs prônant l’authenticité dans leur création de contenus. D’autres blogueurs américains, comme Mark Schaefer, ont suivi un chemin similaire.

En conclusion, que doit-on retenir de ce retour d’expérience ?

D’abord, qu’il est difficile de prédire l’avenir. Les technolâtres, qui jouent à nous faire peur avec une pseudo-IA générale qui n’existe pas, tout autant que les technophobes qui tirent à boulets rouges sur des technologies qui leur font peur, car ils ne les comprennent ni ne les maîtrisent, se trompent tout autant.

Par contre, je suis parfaitement capable de prévoir le passé. Et ce que j’ai remarqué au bout de 40 ans d’utilisation des outils informatiques tout au long de ma carrière (dans les projets, dans des missions clients, pour mon organisation personnelle et collective…) c’est que quand on dédie un outil à une tâche et qu’il la réalise bien, de manière précise et efficace (même si le résultat n’est juste qu’à 90%), on gagne du temps et de l’efficacité. Et qu’à l’inverse, quand je demande à une machine de réfléchir à ma place, le résultat est beaucoup moins pertinent, sauf si je suis plus inculte ou plus bête qu’elle. Certes, il ne faut pas négliger cet aspect, beaucoup d’humains s’évertuent à le développer. Mais j’ai foi, sans doute avec naïveté, dans le triomphe ultime de la clairvoyance, du sens commun et de la culture.

La fascination pour ces machines statistiques qui réalisent de véritables prouesses techniques est naturelle. Geoffrey Hinton, un des prix Turing avec Yann Le Cun, surnommé le parrain de l’IA, pour ses recherches sur les réseaux de neurones, ne comprend même plus comment ces machines fonctionnent. C’est tout dire. 

 

L’avenir du contenu généré par IA

Mais au-delà du caractère hypnotique de ces technologies, je reste persuadé comme il y a trois ans, que les véritables créateurs de contenus du futur pourront continuer à exercer leur métier avec brio. Et que l’authenticité, la justesse de leurs voix et leur inventivité leur permettront même de vivre plus qu’honorablement, car le monde de l’entreprise aura besoin d’eux.

Ceux-là seront capables de dépasser la simple technique et la laisser là où elle mérite d’être laissée et ils placeront leur valeur ajoutée humaine au-dessus des tâches de base, dont certaines seront avantageusement sous-traitées à ces outils que j’ai nommés “discrets”. Certes, de nombreux créateurs de contenus de mauvaise qualité, et Dieu sait qu’ils sont nombreux, disparaîtront. Déjà, ma prédiction de 2020 sur les producteurs de contenus SEO s’est avérée. Les propositions pluriquotidiennes de fourniture de “liens de qualité” (alias backlinks) sur notre site se sont arrêtées du jour au lendemain en début de cette année. Elles ont été remplacées par des offres, tout aussi intéressantes, de fournitures d’outils d’écriture IA automatisés. On sent néanmoins qu’il y a un gros trou d’air chez les producteurs de contenu SEO humain qui pourraient bien disparaître totalement.

Nous ne les pleurerons pas.

Ils devront certainement changer de travail. Peut-être que cela vaut mieux pour tout le monde. Certes, ces contenus banals et inintéressants pourront être produits au kilomètre par des machines qu’ils les référenceront pour des gens qui ne les liront pas. C’est même déjà le cas.

Mais cela n’a strictement aucune importance. Le marketeur de contenu des années 2024-2030 (il est difficile de voir au-delà) se contentera d’apporter sa valeur ajoutée, se concentrera sur l’humain et les retours d’expérience (échanges directs, interviews, podcasts, émissions en direct, expériences réelles, cas clients, réflexions de fond, débats d’idée, etc.) en apportant toute son originalité et son inventivité. Et en utilisant les machines pour ce qu’elles valent : automatiser purement et simplement des actions répétitives inintéressantes.

Voici pour mon retour d’expérience. Le temps nous dira si j’avais raison. Je vois autour de moi des personnes parfaitement sensées paniquer complètement face à la déferlante de l’IA. Ils se font des films de science-fiction alimentés par des pseudo-experts qui pérorent sur LinkedIn à coup de “révolution technologique” et de “rien ne sera plus comme avant”.

Il est temps de retrouver le chemin de la raison et de revenir sur terre. 

 

à lire aussi dans ce dossier ” l’impact des IAG sur le marketing ” :

 

Illustration : amico

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