Raphael Richard, spécialiste du marketing digital, du content marketing et de l’intelligence artificielle, formateur, expert et conférencier pour les master classes du Journal du Net nous livre, dans le cadre de notre dossier consacré à ce sujet, un point de vue éclairé sur l’usage des IA, et notamment des IAG.
A noter sur vos tablettes : ce dossier en cours donnera lieu à une table ronde le 2 février prochain à 11H, avec la participation de plusieurs experts de la question, dont Yann Gourvennec, David Fayon, Raphael Richard, Fred Canevet, et d’autres dont nous communiquerons les noms ultérieurement.
L’industrie du contenu, des scénaristes d’Hollywood en grève jusqu’aux usines malgaches produisant des contenus SEO de façon industrielle, se pose des questions sur son avenir face à la concurrence des chatGPT et des API de génération de contenu. Voici une tentative de comprendre à quoi pourrait ressembler l’avenir du content marketing.
Tout d’abord, peut-être faut-il rappeler que les outils d’IA générative sont précisément des outils et non des êtres vivants doués d’une conscience qui pourraient être tentés de rentrer en concurrence avec vous, les humains qui lisez cet article (à moins que vous ne soyez un robot à qui un humain a demandé de résumer ce texte…).
Et comme à chaque fois qu’une nouvelle génération d’outils apparaît, certains la rejettent car elle remet en cause leur façon de faire, d’autres l’adoptent parce qu’elle leur génère des économies de temps ou d’efforts, ou parce qu’elle leur permet de faire des choses qu’ils ne savaient ou ne pouvaient pas faire. Enfin, d’autres détournent les outils pour inventer des usages totalement inédits.
Même si le mystère technique qui entoure l’IA et l’imaginaire véhiculé par la science-fiction nous laisse à penser que l’IA engendrera des mutations plus importantes que les autres technologies, l’IA (générative) se limitera, pour les années qui viennent, pour nous les marketeurs, à une série d’outils modifiant nos façons de gérer les opérations de marketing et notamment, de production du contenu. Mais cela restera des outils.
À cet égard, je me suis intéressé à l’impact de l’IA générative sur cinq types de contenus marketing :
- Les contenus inutiles et intéressants
- Les contenus utiles, sans âme
- Les contenus utiles et subjectifs
- Les analyses poussées
- Les idées originales
Les contenus peu utiles et peu intéressants
C’est l’essentiel de ce qui est publié actuellement dans la sphère digitale : les newsletters purement commerciales (que l’internaute moyen assimile souvent plus ou moins à du « spam »), les stories sans inspiration que les influenceurs s’efforcent de publier tous les jours pour plaire aux algorithmes des réseaux sociaux, les pages techniquement optimisées pour le SEO sans valeur ajoutée, ou simplement les pages présentant les produits ou services d’une entreprise, parfois rédigées sans respect des règles de l’art.
Vous l’avez deviné : ces contenus, qu’ils soient au format texte, images ou vidéo, non seulement peuvent être produits par des services d’IA générative, mais ont aussi intérêt à l’être puisqu’ils sont standards, rébarbatifs à produire, que les humains n’apprécient pas forcément de produire et n’auraient peut-être jamais créés sans ces fichus algorithmes qui évoluent en permanence, requérant des marketeurs d’apprendre régulièrement de nouvelles techniques de production aussi inutiles qu’éphémères.
En revanche, il ne faut pas s’attendre à ce que ces contenus générés avec l’IA générative aient plus d’impact que leurs équivalents rédigés par les humains. On notera que pour ce type de contenu, le recours à l’API d’OpenAI, d’Anthropic ou, désormais, du français Mistral, dope la productivité. En envoyant un fichier CSV où figurent tous les prompts, on peut obtenir la génération de milliers d’articles en une heure ou deux, ce qui est beaucoup plus efficace que d’adresser 1000 prompts les uns après les autres à ChatGPT.
Les contenus utiles pour le Content Marketing, mais sans âme
Ce sont des contenus plus intéressants mais qui peuvent être rédigés par n’importe quel professionnel compétent : fiches produit bien rédigées, actualité sur des sujets intéressants, mais se contentant de relayer le consensus mou, la réécriture ou la paraphrase améliorée d’articles ou d’analyses utiles dans un cadre professionnel, définition de lexiques techniques, tutoriels écrits ou vidéo, et on pourrait même inclure dans cette catégorie les contenus traduits de l’anglais et à peine adaptés au contexte français. Là encore, l’IA générative a vocation à rédiger 50% à 80% de ces contenus utiles, car les sources de données sur lesquelles les LLMs les plus utilisés regorgent de la matière nécessaire à la rédaction. Attention, toutefois, pour produire des contenus de qualité équivalente à ceux que rédigeraient des humains compétents, trois conditions me paraissent indispensables :
– Une bonne maîtrise des structures de prompts pour chaque format de contenu à produire. Sans cela, les outils d’IA risquent de produire des contenus trop courts, fades, incomplets, biaisés d’un point de vue idéologique, inadaptés au contexte français (n’oublions pas que les contenus français contribuent très peu à l’entraînement des LLMs), voire obsolètes.
– La capacité à combler les trous : les meilleurs LLMs ou générateurs d’images ne parviennent pas à produire des réponses satisfaisantes sur tous les sujets relevant de cette catégorie.
– Une bonne connaissance des sujets sur lesquels le rédacteur interroge les outils d’IAG : ce n’est pas une condition sine qua non, mais cela est de nature à fortement augmenter l’efficacité commerciale de ces contenus créés avec l’IA. Pour ces contenus, le recours à l’IAG permet d’observer trois types de gains : un gain de temps évident, un gain de qualité (de nombreux rédacteurs compétents savent rédiger des textes qui captent l’attention du lecteur de bout en bout, optimiser ces textes tantôt pour les réseaux sociaux, tantôt pour le SEO, mais pèchent parfois sur le copywriting). Moyennant les prompts adaptés, les outils d’IAG peuvent intégrer ces techniques de rédaction rarement maîtrisées. La possibilité de passer à l’échelle là où, pour des raisons de ressources financières ou humaines, une entreprise ne parvient pas à produire suffisamment de contenu (souvent le cas dans les PME pour les contenus requis pour le référencement naturel ou les réseaux sociaux). Notons le cas particulier des ebooks ou white papers : un guide pratique de plusieurs dizaines de pages sur un sujet bien traité sur internet (afin que le LLM ait eu suffisamment de matière pour faire le tour du sujet) peut être rédigé en une journée avec l’aide de l’IAG, si l’on dispose d’une bonne maîtrise des chatbots (notamment des techniques de prompts pyramidaux). Ce guide peut ensuite être distribué classiquement via des appels à l’action sur un site, via des campagnes de publicité ou bien, de façon plus originale, sur Amazon qui permet à n’importe quel auteur de s’autopublier au format ebook, qui peut être « vendu » gratuitement si l’objectif est, pour l’auteur, d’acquérir de la visibilité dans son domaine de prédilection.
Les contenus utiles et subjectifs
Pour les contenus plus originaux, s’appuyant sur des partis pris sortant du consensus, des analyses inédites, ou des retours d’expérience personnels, on devine aisément que l’apport de l’IA générative est plus réduit, mais il n’en est pas marginal pour autant. Dans l’absolu, on peut théoriquement intégrer dans un prompt des éléments exigeant que le texte prenne le contre-pied du consensus, qu’il développe une pensée originale, voire demander à ce que le texte défende une thèse absurde. Cependant, lorsqu’un rédacteur humain prend le contre-pied d’une idée, ce n’est pas gratuit et c’est souvent pour marquer sa spécificité, défendre des idées personnelles, démystifier ou partager une vision personnelle de l’avenir. Cela est très difficile à confier à des outils d’IAG de façon cohérente sur le moyen terme. Ce qui n’empêche pas l’IA générative d’assister le rédacteur inspiré en :
– Facilitant la recherche documentaire
– Améliorant un texte de base rédigé par un humain (pour vérifier qu’il n’a oublié aucun point essentiel, par exemple)
– Rédigeant les parties peu originales mais nécessaires à traiter dans le cadre d’un développement global Evidemment, l’IAG peut, là encore, intégrer des éléments de copywriting afin de faire le lien entre le propos du spécialiste et l’offre de l’entreprise. Le gain de productivité (de 10% ou 20%) est probablement, dans ces cas de figure, moins important que le gain en termes de qualité, paradoxalement. Petit bonus : les générateurs d’images permettent désormais aux âmes inspirées d’illustrer leurs articles de qualité avec des images « uniques » que le niveau de leur contenu mérite, et non, comme auparavant, avec des images impersonnelles issues de banques d’images.
Les analyses poussées
Ce type de contenu correspond, par exemple, à un état de l’art sur une techno, à un bilan de l’année qui s’est écoulée, ou encore à une analyse transversale sur un phénomène, une technique, des pratiques, des modes… Deux cas de figure sont à considérer :
1er cas : l’analyse est « facile » à réaliser. On cherche à réaliser une synthèse analytique à partir d’un grand nombre de documents. Dans ce cas, l’IAG se révèle d’une grande utilité puisqu’elle permet de réaliser l’essentiel de l’analyse, maintenant que les fenêtres de contexte (c’est-à-dire le nombre de mots que l’on peut rentrer dans un prompt) sont importantes (entre 75 et 300 pages selon les LLMs). « L’auteur » n’a alors plus qu’à relire, corriger, enrichir, et pourquoi pas réorganiser l’analyse.
2ème cas : l’analyse est complexe. L’analyse dépend des connaissances de l’auteur, de son expertise, et de son expérience. Ou bien, l’analyse repose sur des sources non numérisées (interviews, conférences…). Encore : l’analyse nécessite de réaliser des hypothèses, de distinguer différents cas… Dans ce cas, l’IAG n’est pas très exploitable, sauf peut-être pour identifier les faiblesses dans l’analyse rédigée par l’humain, pour lui fournir de nouveaux arguments, ou encore l’aider à creuser des scénarios qu’il a imaginés.
Les idées originales pour le Content Marketing
On pense à tort que les chatbots ne peuvent que répéter ce qu’ils ont « appris » lors de leur entraînement. Or, s’ils sont bien « promptés », on peut attendre d’eux qu’ils rédigent des textes avec une certaine forme d’originalité. En préparant cet article, par exemple, j’ai testé la capacité de ChatGPT à explorer une idée saugrenue : « Imagine un futur dans lequel les sauterelles dominent les conseils d’administration des multinationales et conditionnent le développement de l’économie. ». Sa réponse cadrait avec le « brief », mais ne comprenant pas comment les sauterelles communiquaient avec les dirigeants des entreprises dont elles animaient le conseil d’administration, je lui ai demandé des précisions : « Comment les sauterelles communiquent-elles avec les dirigeants des entreprises ? ». Il a « imaginé » diverses solutions pertinentes.
De même quelques mois plus tôt, j’avais demandé à ChatGPT de travailler sur le texte d’une pièce de théâtre pour un spectacle familial que je souhaitais jouer avec l’un de mes enfants seulement deux heures plus tard. Le résultat a été très intéressant, car le chatbot nous a permis d’aller jusqu’au bout de l’exercice, non sans peine, car ce qui ressort de ces exercices de créativité assistée par l’IA, c’est que, pour le moment, ChatGPT a besoin d’être plus cadré et corrigé que dans le cadre de demandes plus simples : pour la pièce de théâtre, nous avons dû décrire le concept global, puis comme l’histoire imaginée par ChatGPT manquait de rebondissements, s’affadissait vers la fin, et présentait des incohérences, il a fallu le réorienter, encore plus que d’habitude et imaginer des chutes « à sa place ». Mais, il nous a permis de gagner du temps et de ne pas « sécher », d’avoir la panne d’inspiration.
Sur ces exemples derniers, qui sont bien entendus éloignés de l’ordinaire du marketing de contenu, on voit que l’apport de l’IA générative peut consister, au-delà des gains de productivité que tout le monde attend, à renforcer nos capacités à produire des contenus dans des cadres contraints (par les limites de nos compétences, par le temps qui nous est imparti ou par nos ressources financières).
L’IA générative n’aura peut-être pas d’idées géniales par elle-même, mais pourra vous aider à exploiter des embryons d’idées qui auraient germés dans votre esprit.
Je me suis efforcé à partir de cette explication de texte dénuée 100% générées par des neurones biologiques, alors que je suis un utilisateur intensif de l’IA générative. Ayant toujours majoritairement créé des contenus qui faisaient écho à mon expérience, je continue à le faire, mais je dispose aussi d’un outil qui me permet de créer plus rapidement des contenus que je ne prends pas plaisir à rédiger : des définitions de lexique, des tutoriels, des fiches produits ou encore des synthèses sur des sujets « bateaux » qu’il m’intéresse beaucoup moins de rédiger.
à lire aussi dans ce dossier ” l’impact des IAG sur le marketing ” :
- Dossier IAG #1 : L’influence des IAG sur la production de contenus en Agence
- Dossier IAG #2 : IAG vs Google Search
- Dossier IAG #3 : Retour d’expérience pragmatique et dépassionné