Interview de David Del Bourgo, CEO et fondateur de WhiteLab Genomics
Laurent Hercé : Bonjour David Del Bourgo, pouvez-vous vous présenter, ainsi que votre entreprise ?
David Del Bourgo : La société Whitelab Genomics a été créée en février 2019. Aujourd’hui nous sommes plus d’une dizaine de collaborateurs et nous sommes spécialisés en intelligence artificielle dédiée à la découverte, au design et au développement de médicaments de biothérapie, en particulier les thérapies géniques et cellulaires.
C’est la nouvelle génération de médicaments, qui connaît une très forte croissance. Ces traitements diffèrent d’autres principes thérapeutiques, parce qu’on vient traiter une maladie directement au niveau de l’ADN, avec des techniques qui utilisent l’ADN, l’ ARN ou avec des modifications de cellules.
La différence avec les médicaments plus traditionnels (comme par exemple d’inhibiteurs contre le cancer) c’est que ces derniers utilisent des approches dites ”petites molécules”.
C’est un domaine de l’industrie pharmaceutique développé et mature. Dans le cas des thérapies géniques et cellulaires, il s’agit de grandes molécules biologiques.
LH : Est-ce que vous utilisez dans le développement de ces thérapies, de ces molécules toute l’ingénierie qui a été récompensé par le prix Nobel, c’est-à-dire la découpe Crispr/Cas9 ?
DDB : Oui, bien sûr, c’est tout à fait au cœur de notre domaine, au cœur de notre métier. L’ingénierie génétique fait partie de ce segment des thérapies géniques et cellulaires, c’est une manière de faire les choses.
Dans le domaine des biothérapies ou des thérapies géniques et cellulaires, il y a plusieurs outils dont Crispr/Cas9. Cette industrie est en très fort développement depuis 2014 et a libéré énormément de potentiel, débloqué beaucoup de verrous technologiques.
Il y’a d’ailleurs eu l’année dernière la consécration pour Jennifer Doudna et Emmanuel Charpentier, prix Nobel pour cette découverte en un temps absolument record entre la découverte et la remise du prix.
Nous avons développé une plateforme spécialisée dotée d’une base de données, et d’une suite d’Intelligence Artificielle afin d’aider nos clients à faire en sorte que ces médicaments soient plus efficaces et qu’ils soient développés plus vite.
Aujourd’hui les temps de développement de ces produits sont très longs, entre 10 et 15 ans de recherche et développement, les taux d’échecs des différentes phases du développement du médicament sont très élevés. Par exemple, pour 1 000 projets, il y en a qu’un qui arrive à terme, ce qui explique que, in fine, ces médicaments coûtent très cher.
Par exemple, il y a deux ans l’industrie a mis au point un traitement pour sauver la vie d’enfants atteint d’amyotrophie spinale, une maladie fatale. Le traitement en question coûte 2 millions d’euros.
Cela vous donne un peu une indication du potentiel à la fois de ces médicaments-là, et des enjeux économiques et sociétaux que cela représente. Notre objectif est d’aider l’industrie à être meilleure, de trouver plus d’efficacité pour ces traitements et faire en sorte qu’ils soient développés en réduisant les coûts, pour que le coût du traitement soit moins élevé.
Biothérapies, thérapies géniques et cellulaires… Cette industrie est en très fort développement depuis 2014 et a libéré énormément de potentiel, débloqué beaucoup de verrous technologiques.
LH : En fait c’est un modèle économique qui n’était pas du tout celui de l’industrie pharmaceutique précédente ?
DDB : Ces traitements sont inédits et il faut donc que l’industrie s’adapte sur toute la chaîne de valeur afin que le prix de ces traitements soit juste d’une part et que les industriels y retrouvent leurs investissements d’autre part.
LH : Précédemment, on était plutôt dans des médicaments à large diffusion ?
DDB : Le modèle de ces nouvelles thérapies et qu’en effet ils peuvent s’adresser à la fois à des pathologies très répandues, comme les cancers, tout comme à des maladies génétiques plus rares. Les industriels qui investissent massivement en R&D pour adresser ces challenges médicaux et sociétaux ne peuvent le faire à perte et doivent donc embrasser les nouvelles technologies d’IA pour améliorer le rendement général du développement de ces médicaments.
Lorsque l’on parle d’IA, le premier point important est la donnée et dans le domaine de la génomique la donnée ne manque pas. Le code génétique humain est composé de 3 milliards de lettres. La génomique est donc propice à la numérisation et aux technologies informatiques sophistiquées.
Un bel exemple récent de l’utilisation de la Data Science pour accélérer les développements est tout simplement celui de la société Moderna. Encore inconnue il y’a quelques années, elle a utilisé des approches innovantes pour développer son vaccin et se retrouver avec les mêmes performances et taux de succès qu’un acteur très établi comme Pfizer.
Ce fut fondamental pendant la pandémie et nous voyons donc bien l’utilité des plateformes qui aident les industries à passer à la vitesse supérieure.
Thérapies géniques : le rôle important du numérique et de la data
LH : Comment chiffrez-vous les apports du numérique dans ce modèle économique ? Peut-on dire que le numérique représente 50% des moyens et investissements nécessaires ?
DDB : Non, je pense que c’est moins, mais au delà du pourcentage il faut s’intéresser à la valeur que cela crée pour l’industrie. Les dernières études de marché font état de potentiel économique de plusieurs centaines de milliards de dollars.
Une autre étude récente disait qu’en moyenne les sociétés en science de la vie interrogées allaient dépenser au moins 20 millions de dollars dans l’Intelligence Artificielle par an, à partir de l’année prochaine. On ne fait plus l’impasse et l’industrie pharmaceutique se modernise.
Il est souvent intéressant d’un point de vue macro-économique de regarder l’industrie automobile. C’est l’une des plus vieilles industries au monde et c’est une industrie qui a dû énormément chercher l’efficience, parce qu’il y avait beaucoup de concurrence.
Il fallait trouver comment être meilleur que les autres : être moins cher, être plus efficace, être de meilleure qualité etc. C’est une industrie qui est devenue très digitale, au niveau de la recherche et développement également. Mon sentiment est que l’industrie pharmaceutique commence un peu cette transition. C’est le début mais c’est en marche.
LH : Ces aspects, informatiques, digitaux, les gérez-vous en interne où sont-ils sous-traités ? Par exemple pour les données ?
DDB : Nous avons une équipe en interne de développeurs, de data scientists et de biologistes computationnels. Concernant les données, nous utilisons beaucoup la donnée publique mais nous avons des partenariats privés pour générer de la donnée propriétaire.
LH : D’un point de vue éthique, cela doit poser pas mal de questions, car on est dans le domaine médical. Quelles sont les difficultés rencontrées ?
DDB : Pour l’instant, en ce qui nous concerne, les difficultés éthiques dans le domaine de la génétique ne nous impactent pas directement. Il y a toujours des débats lorsque l’on parle de génétique. Nous sommes bien sûr toujours attentifs et à l’écoute, mais nous travaillons avec des généticiens et des scientifiques pour mettre au point de nouvelles thérapies pour mieux traiter certaines maladies ou encore proposer de nouveaux traitements encore inédits.
Concernant la gestion des données patients, nous utilisons seulement des données publiques ou anonymisées. Nous respectons scrupuleusement le cadre légal qui entoure la gestion des données relatives aux patients.
L’industrie peut s’améliorer dans le cadre des essais pré-cliniques sur animaux. Avant de passer en phases cliniques, les traitements sont en général testés sur petits et grands animaux. Cela peut poser à la fois un problème éthique et économique.
L’avenir sera peut être de pouvoir simuler des comportements biologiques sur des humains virtuels avant de passer en vraie phase clinique.
LH : Quel est votre ressenti sur l’Intelligence Artificielle, sur les interrogations qui sont assez grandes aujourd’hui ?
DDB : Je pense que des questions se posent par rapport aux assistants à la maison comme Google Home, Alexa… à qui l’on parle et qui finalement peuvent répondre à nos questions. Tout cela est “processé” dans des serveurs chez Amazon, chez Google. La question de la donnée privée se pose. Notamment parce que finalement Amazon et Google vont utiliser vos questions pour faire de la publicité, par email, par Facebook etc.
Comment dans le cadre privé, peut-on s’assurer qu’on peut contrôler le fait de donner de l’information ? Je pense que c’est un vrai sujet. Après je ne suis pas du tout dans l’idée que la machine va prendre le dessus sur l’Homme, cela ne me paraît pas réaliste. Pour moi, l’un des sujets les plus épineux concerne la propriété des données dans son cadre privé.
LH : L’un de nos partenaire historique, Louis Naugès, intervenait récemment dans l’un de nos webinaires avec 4 autres intervenants. Il disait qu’on encadre peut-être un peu trop l’usage de la technologie, et que l’on avait un principe de précaution qui était parfois un peu trop fort en Europe, notamment sur l’Intelligence Artificielle. Ressentez-vous cela aussi ? Avez-vous parfois envie de plus de liberté ?
DDB : Oui, je pense qu’il faut laisser la place à l’innovation avant de l’encadrer. Pour l’instant, l’Intelligence Artificielle, c’est encore nouveau. J’ai une vision plutôt optimiste des choses, je considère que cela va faire plus de bien que le contraire.
Notre domaine est déjà très réglementé dans énormément d’aspects, également dans la partie données. L’Intelligence Artificielle n’est pas un domaine industriel en tant que tel, c’est un outil qui va être utilisé dans différentes industries. Ces industries sont déjà réglementées. Donc je pense qu’il n’y a pas besoin de sur-réglementer les applications qui vont l’être dans des domaines industriels déjà réglementés.
Si on prend le domaine de la voiture, c’est ultra réglementé. Même avec de l’intelligence artificielle dans une voiture aujourd’hui, on ne sera pas autorisé à dépasser une certaine vitesse, klaxonner sans raisons etc.
LH : Quels sont vos projets actuellement ?
DDB : Nous sommes focalisés sur les États-Unis, c’est notre premier marché. C’est le marché le plus dynamique dans le domaine des thérapies innovantes, donc des thérapies géniques et des thérapies cellulaires. C’est un marché qui a l’avantage d’être relativement concentré. Il y a des grands hubs aux États-Unis avec beaucoup d’innovation dans ces domaines là, typiquement à Boston, San Francisco etc. Nous sommes ravis et très reconnaissants d’être accompagnés par Business France, la BPI, qui aident des sociétés françaises à bien s’organiser pour aller aux États-Unis.
Je connais très bien le marché américain, mais il est intéressant d’avoir des retours d’expérience, d’être accompagné sur des stratégies de recrutement… Pour nous c’est un nouveau chapitre qui s’ouvre.
LH : David Del Bourgo, je vous remercie.
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