C’est un sujet récurrent dans l’actualité digitale : la souveraineté numérique est désormais au coeur des débats, et suscite des actions, des mesures, des publications.
C’est l’un des sujets majeurs traités au sein de nos colonnes, et il a présidé à la création de ce site.
Pour aborder cette question de façon plus globales, nous publions une série d’articles sur ce sujet, en nous appuyant sur un dossier réalisé récemment par “Annales des Mines”, avec l’institut Mines télécom, intitulé “Enjeux Numériques : La souveraineté numérique, 10 ans de débats, et après ?”.
Nous synthétiserons quelques-uns des points de vue de ce dossier, en vous renvoyant à sa lecture complète riche d’enseignements.
Aujourd’hui : Jean-Noël de GALZAIN, Président Hexatrust & Wallix et Alain GARNIER, Président EFEL & Jamespot, abordent le sujet de la commande publique…
Virage Collaboratif
En 2020, la transition vers le numérique s’accélère en raison des confinements, avec une utilisation généralisée d’outils tels que Office 365, Zoom, Teams et Slack pour le travail collaboratif. Bien que ces solutions offrent une facilité d’utilisation et soient largement adoptées en raison de leur disponibilité et de leur gratuité, l’urgence de maintenir l’activité pendant la pandémie occulte les préoccupations concernant la protection des données et l’autonomie.
Cependant, cette dépendance croissante envers des plateformes qui ne respectent pas pleinement les lois européennes sur la protection des données compromet la souveraineté numérique. Il faut souligner la nécessité pour la France de favoriser les solutions nationales ou européennes, en particulier dans les domaines stratégiques et la protection des données sensibles, afin de préserver l’autonomie et l’avenir du pays dans un monde dominé par l’intelligence artificielle.
Ces trois dernières années ont vu un changement majeur vers la collaboration en entreprise, accentué par la pandémie qui a propulsé la “digital workplace” comme le nouveau lieu de travail. Les entreprises se penchent désormais sur des questions cruciales, notamment la protection des données stratégiques. L’émergence de solutions souveraines françaises ou européennes est suggérée en réponse à cette préoccupation, particulièrement face à la domination des Gafam dans le secteur collaboratif. La commande publique et la régulation sont considérées comme des moyens potentiels de rééquilibrer le marché, en mettant l’accent sur une approche exemplaire en matière de protection des données sensibles.
Orienter et favoriser la commande publique
Le gouvernement américain a alloué 4 milliards de dollars de son plan IRA pour contrôler la prolifération des batteries électriques chinoises sur son territoire, illustrant un protectionnisme accru. Aux États-Unis, le Small Business Act, en place depuis 1953, réserve entre 23 et 40 % des achats publics aux PME. En France, malgré des efforts dans la formation et la régulation, l’idée d’un Small Business Act français se heurte à des obstacles liés à la réglementation européenne sur la concurrence.
Certains estiment qu’une préférence pour les entreprises françaises ou européennes pourrait perturber le marché mondial. Ces arguments sont critiqués, car ils négligent les solutions compétitives émergentes de la French Tech, soutenues en partie par des financements publics. Ces solutions sont adaptées à la culture locale, aux réglementations et aux contraintes, renforçant ainsi leur intégration dans les entreprises françaises.
Un rôle de modèle pour la souveraineté numérique
L’État français, en tant que garant des domaines culturels, éducatifs, sécuritaires et de la compétitivité des entreprises, a le devoir de préserver les équilibres dans ces secteurs stratégiques. La commande publique est présentée comme un moteur essentiel pour l’économie, l’industrie et la richesse nationale, servant à promouvoir l’écosystème numérique et son développement industriel. La relocalisation de la chaîne de valeur, des savoir-faire et de la culture sur le territoire est soulignée comme une priorité, notamment avec l’avènement du collaboratif et du télétravail.
Pour ce faire, des investissements significatifs sont nécessaires pour rivaliser avec des acteurs monopolistiques étrangers. Cependant, ces investissements existent déjà et peuvent être réaffectés pour un retour sur investissement à moyen terme. La commande publique est également perçue comme un moyen de promouvoir des entreprises respectueuses des citoyens, avec des pratiques fiscales et sociales exemplaires, générant ainsi de nouvelles rentrées fiscales.
Le plan France 2030
Les organismes d’État et l’administration française doivent être des exemples en matière de choix d’hébergement pour leurs données sensibles. Dans le cadre du plan France 2030, la France lance des appels à projets pour financer et encourager les opérateurs locaux à collaborer et répondre aux besoins souverains de l’administration et des Opérateurs d’importance vitale (OIV). Cela vise à construire une autonomie numérique et à établir un cadre de confiance numérique.
Le plan vise à redynamiser les filières stratégiques en se positionnant sur les bases techniques et numériques, comme le montre le cas de la cybersécurité. Des exemples concrets, tels que des appels à manifestations d’intérêt, montrent une mobilisation significative, comme dans le domaine des solutions bureautiques souveraines dans le cloud. Des consortiums, comme CollabNext, sont créés pour développer une offre numérique de confiance, impliquant des acteurs majeurs du Cloud et de la cybersécurité.
Ces projets bénéficieront de 23 millions d’aides du plan France 2030. La France cherche ainsi à créer un contrat de filière numérique de confiance pour répondre aux besoins massifs, en encourageant des alternatives crédibles et différenciées, à l’abri des lois extraterritoriales en matière de confiance numérique.
Demain : être des leaders pour la souveraineté numérique ?
La création de digital workplaces souveraines revêt une importance cruciale pour reprendre le contrôle de nos données personnelles et industrielles, un élément clé de notre liberté, autonomie et innovation future. Cela permettra de nourrir nos intelligences artificielles, en concurrence avec les grandes puissances étrangères qui ont déjà accès à leurs propres données ainsi qu’aux nôtres. La question de savoir si l’État doit adopter une approche plus directe, voire coercitive, pour assurer le respect des règles, notamment en obligeant les administrations et les entreprises publiques à migrer vers des solutions numériques souveraines, reste à déterminer.
Les initiatives législatives en cours au niveau européen, telles que le Digital Act, le DSA et le DNA, sont également des facteurs clés dans cette dynamique. L’auteur souligne la nécessité d’avancer vers un Small Business Act en France et un European Tech Buy Act au niveau européen pour favoriser la croissance des entreprises technologiques.
Bien que cela puisse sembler difficile, l’histoire récente montre que des progrès significatifs sont possibles, notamment en inspirant des normes européennes telles que le RGPD, la CNIL et la directive NIS. Le numérique est considéré comme central dans la réindustrialisation de la France, jouant un rôle transversal dans divers secteurs. En conclusion, la France est appelée à maintenir son leadership et son inspiration pour utiliser les besoins, les réglementations et l’industrie comme des leviers d’autonomie, d’innovation et d’emploi dans le domaine numérique.
Pour en savoir plus :
Le dossier complet d’Enjeux Numériques – Annales des Mines N°23