Entretien avec Laurent Pomies (LP), co-fondateur de TADATA
TE : Laurent Pomies, bonjour. Pouvez-vous nous présenter rapidement TADATA ?
LP : TADATA est né du postulat que nous naviguons tous sur Internet, en transférant des informations, nos données personnelles, gratuitement, à des entreprises. Ces données sont exploitées et enrichissent de nombreux acteurs. Or, la personne qui fournit cette matière première est la seule à ne pas être rétribuée.
Nous ne pouvons pas tous protéger en permanence nos données, donc il faut proposer une solution équitable. TADATA est donc la première plate-forme de monétisation des données personnelles. Nous ciblons notamment les jeunes utilisateurs, de 15 à 25 ans.
TE : En quoi est-elle éthique ?
LP : Parce que son fonctionnement repose sur 3 valeurs fortes :
- Volontariat : 100% des données que nous traitons nous sont confiés volontairement. Nous n’allons pas chercher des données à l’insu de l’utilisateur. Nous ne captons que ce que l’utilisateur renseigne de façon consentie, sur les formulaires de notre site.
- Transparence : les utilisateurs sont informés que les données sont confiées à un annonceur, et peuvent s’y opposer, à tout moment.
- Equité : c’est la base du principe de TADATA. Si une donnée est valorisée, et génère de la valeur, automatiquement, une partie de cette valeur est rétro versée à l’utilisateur qui est à l’origine de la donnée produite.
C’est une proposition alternative au « Far-West » de l’économie de la data qui existe aujourd’hui.
TE : C’est donc un système alternatif, qui ne se substitue pas à l’utilisation des données existante ?
LP : Oui. Les grands acteurs, comme les GAFAM, ne sont pas dans la même philosophie. Par exemple, Facebook a préféré bloquer notre publicité, prétextant qu’il n’était pas conforme que nous rétribuions l’achat de données personnelles, alors qu’eux même les captent sans rétribuer personne.
Donc malheureusement, TADATA ne peut pas se substituer aux autres acteurs. Mais notre proposition a aussi le mérite d’informer et d’alerter sur un état de fait dérangeant, l’exploitation des données personnelles sans rétribution. Pour nous, ces informations devraient faire partie du système éducatif au plus tôt, afin que tout le monde en ait conscience. Les jeunes devraient pouvoir au plus tôt disposer de la gestion de leurs données personnelles, et être informés des risques générés par leur exploitation. Il n’y a pas de contrôle, pas de traçabilité, pas d’acceptation, et nous travaillions d’ailleurs à un livre blanc sur le sujet pour informer le plus grand nombre.
Nous voulons montrer à la fois qu’il y a quelque chose de dérangeant dans le système actuel, et que des alternatives sont possibles.
TE : Dans quel contexte lancez-vous ce projet ? Existe-t-il depuis longtemps ?
LP : TADATA est une startup. Nous travaillons sur le concept depuis 2018. L’offre a été mise sur le marché depuis le 20 janvier 2020. Nous avons réalisé une première phase de « test & learn » auprès des utilisateurs, annonceurs, et même de nos détracteurs : nous sommes toujours à l’écouté de ce qu’on peut nous dire. Nous avons limité cette phase à l’Ile de France pendant les 6 premiers mois.
Avec un sujet aussi sensible, concernant les données personnelles, qui plus est sur un public jeune, une enquête CNIL a été lancée. Qui a été clôturée en juillet sans sanction ni mise en demeure. Ce qui nous a permis d’effectuer un lancement national depuis septembre.
TE : Concernant le stockage de ces données, quelles sont les précautions qui sont prises ? Avez-vous attaché de l’importance à la question de la souveraineté ?
LP : Nous travaillons sur une solution de type Salesforce, hébergée en Europe, et donc en partie en France. Le stockage est sécurisé de telle manière que les données sont réparties sur différents serveurs et Datacenter. Si l’un d’entre eux est attaqué ou piraté, il est impossible de reconstituer un profil dans son intégralité.
Notre objectif, à long terme, lorsque nous disposerons de moyens plus importants, est de nous orienter vers les solutions les plus écologiques et souveraines.
TE : Vous avez lancé ce projet juste au début de la crise du Covid. Avez-vous été impacté ?
LP : Le Covid a eu un gros impact. Au début, il y a eu beaucoup de retombées médiatiques, notamment du fait de l’enquête de la CNIL. L’arrivée du Covid a stoppé la visibilité et la notoriété que nous étions en train d’acquérir. De même pour les partenariats en cours.
Nous avons donc profité de cette période pour faire des mises à jour de notre offre et de notre solution, à partir des premiers retours. Ce qui a permis de proposer une nouvelle version début mai, avant la date initialement prévue pour juillet. Par exemple, les conditions générales ont été simplifiées pour les rendre plus intelligibles.
Avec le nouveau lancement national, nous avons aujourd’hui 4500 utilisateurs.
TE : Comment communiquez-vous avec les jeunes utilisateurs ?
LP : Essentiellement par des canaux digitaux, du fait du Covid. Nous ne pouvons plus intervenir dans les salons ou dans les établissements. Nous sommes bloqués, donc, par certains acteurs comme Facebook. Nous utilisons donc d’autres plateformes, comme TikTok ou Snapchat. Nous avons sponsorisés certains programmes sur 6play de M6.
TE : Pourquoi ciblez-vous spécifiquement les jeunes utilisateurs ?
LP : D’abord, parce que c’est un public que nous connaissons bien, mon associé et moi-même. Nous avions travaillé avec des régies pour l’acquisition de contacts, et nous avions constaté que les jeunes étaient de plus en plus méfiants vis-à-vis de ce genre de démarche. Ils ne comprenaient pas comment ces contacts étaient générés, qui disposait de leurs informations personnelles.
Ils ne savaient pas que leurs données étaient revendues à leur insu, suite à une inscription sur un site internet ou à un abonnement.
Par ailleurs, notre promesse est simple : nous ne prétendons pas rapporter beaucoup d’argent à nos utilisateurs. Il s’agit plutôt de générer de « l’argent de poche », quelques euros par mois. Ce sont des sommes qui intéressent particulièrement les jeunes, disposant de petits budgets.
Nous réfléchissons actuellement sur d’autres modèles destinés à d’autres tranches d’âge. Cela nécessitera d’autres annonceurs par exemple.
Mais dans un premier temps, nous ne disposions pas des moyens nécessaires pour cibler tous les utilisateurs et toutes les tranches d’âge.
TE : Finalement, de quoi avez-vous le plus peur ? Quels sont les difficultés auxquelles vous devez faire face en cette période de lancement ?
LP : Nous pensons qu’à terme, il ne sera plus possible, à un moment donné, de continuer à exploiter les données personnelles sans rémunération tel que cela est souvent le cas actuellement. Il y aura, forcément, une législation qui se mettra en place.
Mais ne sommes nous pas trop en avance ? Est-ce que le public est suffisamment mûr pour adhérer à notre initiative dès maintenant ?
Donc, nous travaillons beaucoup sur la pédagogie. Et nous avons des groupes qui nous soutiennent, tel que « génération libre ».
Nous voulons faire évoluer rapidement les mentalités, et montrer à tous, public et annonceurs, qu’un système plus vertueux et plus équitable est possible. Un système dans lequel tout le monde serait gagnant.
TE : Vos objectifs désormais ?
LP : Nous visons 30.000 utilisateurs d’ici fin juin 2021. Nous voulons aussi intégrer un maximum d’annonceurs.
Par ailleurs, nous entrons en contact avec des investisseurs, pour développer la plateforme actuelle, s’ouvrir à d’autres tranches d’âge, mais aussi à d’autres pays, puisque nous sommes fortement sollicités en ce sens.
Et puis, une nouvelle fonctionnalité, que nous vous annonçons en exclusivité : TADATA pourrait proposer bientôt une fonctionnalité solidaire. Il sera possible à ceux qui le souhaitent de reverser l’argent gagné à une association de leur choix.
TE : Belles perspectives. Merci pour toutes ces informations.
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