La reconnaissance faciale fait partie des technologies qui suscitent de nombreuses inquiétudes dans le grand public.
C’est pourquoi le 10 mai dernier, le Sénat français étudiait un rapport d’information de MM. Marc-Philippe DAUBRESSE, Arnaud de BELENET et Jérôme DURAIN, fait au nom de la commission des lois.
Selon ces derniers, “les technologies de reconnaissance biométriques font l’objet d’un débat particulièrement polarisé entre les tenants d’un moratoire et ceux qui mettent en exergue leurs bénéfices opérationnels pour favoriser la sécurité ou faciliter nombre d’actes de la vie quotidienne.”
Cette technologie se banalise dans l’usage individuel et privé, notamment du fait de l’usage de smartphones et ordinateurs qui l’utilisent pour le verrouillage de leur accès.
Pourtant, le déploiement des usages de la reconnaissance biométrique dans l’espace public s’effectue aujourd’hui en France sans encadrement juridique spécifique, ni réflexion éthique collective.
Au terme des auditions et déplacements conduits par ses rapporteurs, la commission des lois du Sénat considère qu’il est désormais impératif de construire une réponse collective à l’usage des technologies de reconnaissance biométrique dans l’espace public afin de ne pas être, dans les années à venir, dépassés par les développements industriels.
Selon ce rapport “Il est urgent que le Parlement s’empare du sujet afin de rejeter le modèle d’une société de surveillance en établissant des lignes rouges. Une fois celles-ci posées, une réflexion doit également être menée sur les cas d’usage de la reconnaissance biométrique qui sont multiples et potentiellement illimités…”
Quels usages de la reconnaissance faciale en France ?
En France, les usages pérennes dans les espaces accessibles au public sont extrêmement limités. Il s’agit pour l’essentiel du dispositif de rapprochement par photographie opéré dans le Traitement des antécédents judiciaires (TAJ) et du système PARAFE permettant une authentification sur la base des données contenues dans le passeport lors des passages aux frontières extérieures. Plusieurs expérimentations ont par ailleurs été menées, par la Ville de Nice ou Aéroports de Paris notamment, mais aucune d’entre elles n’a pour l’instant été pérennisée.
“…il est surprenant que la reconnaissance faciale, et plus largement les techniques de reconnaissance biométrique, ne fasse pas l’objet d’un encadrement ad hoc…”
Les questions que pose le déploiement de la reconnaissance faciale sont nombreuses. Elles ont trait tant aux libertés publiques qu’à la souveraineté technologique de la France, les deux thématiques étant interdépendantes.
Dans ce contexte, il est surprenant que la reconnaissance faciale, et plus largement les techniques de reconnaissance biométrique, ne fasse pas l’objet d’un encadrement ad hoc. Elles sont actuellement exclusivement régies par le droit des données personnelles.
S’agissant de données « sensibles » au sens du règlement général sur la protection des données (RGPD), les données biométriques font l’objet d’une interdiction de traitement. Sur la base du RGPD, ces traitements ne peuvent être mis en œuvre que par exception dans certains cas particuliers : avec le consentement exprès des personnes, pour protéger leurs intérêts vitaux ou sur la base d’un intérêt public important. Sur la base de la directive « Police-justice », ces traitements ne peuvent être réalisés par les autorités publiques compétentes qu’en cas de nécessité absolue et sous réserve de garanties appropriées pour les droits et libertés de la personne concernée.
Des préconisations claires
Les rapporteurs considèrent qu’il est indispensable de fixer dans la loi quatre interdictions applicables aux acteurs publics comme privés :
- interdiction de la notation sociale. Cette interdiction irait au-delà de celle proposée par la Commission européenne dans le règlement sur l’intelligence artificielle puisque cette dernière ne s’intéresse qu’aux acteurs publics. Il est en effet nécessaire de protéger les consommateurs de méthodes commerciales intrusives et d’empêcher le recours à la notation sociale par surveillance de leurs comportements dans les espaces de vente, de restauration ou les centres de loisirs ;
- interdiction de la catégorisation d’individus en fonction de l’origine ethnique, du sexe, ou de l’orientation sexuelle, sauf dans le cadre de la recherche scientifique et sous réserve de garanties appropriées ;
- interdiction de l’analyse d’émotions, sauf à des fins de santé ou de recherche scientifique et sous réserve de garanties appropriées ;
- interdiction de la surveillance biométrique à distance en temps réel dans l’espace public, sauf exceptions très limitées au profit des forces de sécurité ; en particulier, cette interdiction porterait sur la surveillance biométrique à distance en temps réel lors de manifestations sur la voie publique et aux abords des lieux de culte.
Les rapporteurs préconisent également de poser trois principes généraux :
- le principe de subsidiarité, pour que la reconnaissance biométrique ne soit utilisée que lorsqu’elle est vraiment nécessaire ;
- le principe d’un contrôle humain systématique afin qu’il ne s’agisse que d’une aide à la décision ;
- et le principe de transparence pour que l’usage des technologies de reconnaissance biométrique ne se fasse pas à l’insu des personnes.
Pour en savoir plus :
La page du Sénat consacrée à ce rapport