Alors que les conflits de haute intensité refont surface aux portes de l’Europe, une question émerge discrètement dans les cercles militaires : et si l’avenir de nos armées passait par moins de technologie, et plus de résilience ?
En pleine crise énergétique, face à des tensions géopolitiques durables, la démarche low-tech pourrait bien incarner une voie de résilience stratégique… tout
en allégant le budget des armées.
Trop de technologie tue la défense
Depuis des décennies, l’obsession technologique structure les politiques de défense. Drones furtifs, satellites espions, armures connectées : les armées les mieux équipées ont cru que l’avantage technologique suffisait à remporter les guerres.
L’histoire récente montre l’inverse :
les États-Unis, malgré un arsenal ultra sophistiqué, se sont enlisés au Vietnam, en Irak ou en Afghanistan, face à des adversaires utilisant des tactiques rustiques, adaptables et souvent… low-tech.
Même la France, avec ses Rafales à 80 millions d’euros pièce, ne peut raisonnablement tenir un front de longue durée avec des équipements aussi coûteux et peu réparables sur le terrain.
Concilier efficacité et sobriété matérielle
La guerre moderne n’est plus seulement une affaire de chars et de missiles. Elle est hybride, mêlant sabotage, cyberattaques et guerre psychologique. Dans ce contexte, les équipements high-tech deviennent des cibles vulnérables.
Une bombe électromagnétique (EMP) suffit à neutraliser une large partie d’un arsenal numérique. Des drones civils bricolés, comme ceux utilisés en Ukraine, permettent déjà de larguer des grenades avec précision, pour quelques centaines d’euros.
Plutôt que de chercher la sophistication à tout prix, les armées pourraient miser sur un modèle “high-low mix” : conserver les armes stratégiques high-tech pour la dissuasion, et généraliser les solutions low-tech pour les opérations de terrain.
La démarche low-tech : le retour au soldat, au terrain, à l’essentiel
“Le soldat du futur, ce sera un type en jean et basket avec un AK-47 !”, affirme le Colonel Michel Goya, historien militaire.
La démarche low-tech ne signifie pas un retour au glaive et à l’arc. Il s’agit de concevoir des équipements sobres, robustes, faciles à réparer et à entretenir. Des vélos pliants tout-terrain pour les troupes aéroportées, des radios filaires résistantes au brouillage, des paquetages allégés, du matériel sans composants électroniques critiques — voilà le type de solutions qui répondent aux exigences du combat moderne sans alourdir la logistique ni dépendre de chaînes d’approvisionnement fragiles.
Mieux : une armée low-tech redonne de l’autonomie au soldat. Chaque militaire devient capable de réparer son matériel, de s’adapter au terrain, de résister à la rupture logistique. Une logique de “résilience embarquée”, bien plus adaptée aux guerres longues ou aux conflits asymétriques.
Plus résilient = plus économe
Les armées ne font pas seulement la guerre. Elles assurent aussi des missions civiles : protection des infrastructures critiques, secours en cas de catastrophe, logistique d’urgence.
Dans ces rôles, la low-tech a toute sa place. Des micro-installations d’énergie renouvelable pour les bases avancées, des formations en autonomie alimentaire ou en premiers secours pour les soldats comme pour les civils, des équipements recyclés et réparables : autant de leviers pour renforcer la résilience globale du pays… sans grever les finances publiques.
En France, des initiatives poussent dans ce sens : la stratégie “Défense durable” du ministère des Armées évoque une “éco-efficience”, mêlant sobriété énergétique et efficacité opérationnelle.
Mais ces efforts restent timides face à l’ampleur des défis. D’autres pays, comme la Suisse ou la Suède, adoptent déjà une logique de “défense totale”, intégrant la population civile dans la résilience globale.
La sobriété comme force tactique
Comme le disait le Général de division Pascal Facon, lors d’une audition devant le Parlement en 2018 : “La rusticité ne s’oppose pas à la technologie. Mais rendre la technologie simple d’utilisation est le fruit d’un processus complexe, d’où les interactions nécessaires entre l’armée
de terre, la DGA et les industriels.”
En situation de pénurie, les équipements simples deviennent des atouts. Le Flipper Zero, petit boîtier électronique à 200 €, peut désactiver des alarmes, brouiller des signaux radio, ou simuler une carte d’accès.
Le D3O, matériau souple se durcissant à l’impact, offre une protection légère et durable. Les “technologies nivelantes”, comme on les appelle dans le jargon militaire,
permettent de mieux répartir les capacités opérationnelles, de compenser le déséquilibre entre
adversaires, et d’éviter les ruptures logistiques fatales.
Surtout, la low-tech remet l’humain au centre. Elle valorise la polyvalence, le bon sens, l’autonomie, la débrouillardise. En somme, tout ce qui a permis aux armées populaires de résister face à des machines suréquipées, mais mal adaptées au réel.
Parlons concret
La démarche low-tech appliquée à l’équipement militaire pourrait donc se résumer ainsi : d’un côté, on sanctuarise le matériel high-tech aux opérations de dissuasion (notamment nucléaire) et à la cyberdéfense. De l’autre, on réduit la “charge technologique” des soldats, en employant des “technologies nivelantes” (autre nom des low-tech chez les militaires).
Ici, on replace le soldat au coeur du design, dans une approche “user-centric”, qui donne la priorité à la robustesse, au minimalisme, à la polyvalence et à l’autonomie du soldat. Cette démarche offrirait à nos armées un double gain : une efficacité renforcée sur le terrain, et une meilleure résilience face aux crises systémiques qui nous guettent.
Article en collaboration avec le magazine Low-Tech Journal