On parle beaucoup de souveraineté ou d’autonomie numérique (voir notamment la table ronde digitale du 6 novembre autour du député Philippe Latombe) pour les entreprises, les collectivités et au niveau de l’État.
Heureusement qu’il y a des domaines où ce terme n’est pas qu’une vue de l’esprit mais une réalité bien opérationnelle. En voici un exemple parlant dans la marine nationale.
Le site Theatrum Belli a consacré un bel entretien au commandant de la frégate multi-missions (FREMM) La Provence, le capitaine de vaisseau Pascal Forissier dont on vous propose un résumé ci-dessous. C’est l’occasion pour nous, puisque nous parlons beaucoup de souveraineté numérique, de rappeler que :
- La FREMM intègre un Data Hub Embarqué (DHE) boosté à l’IA pour traiter les données opérationnelles
- Le retour d’expérience (RETEX) se font en temps quasi réel avec les autres bâtiments
- Une attention évidemment cruciale est portée aux cyberattaques
- L’interopérabilité des systèmes avec les navires alliés au sein de l’OTAN, le choix de standard commun et le “Plug and Fight” sont déjà des réalités opérationnelles
Voici le lien vers l’interview dans son intégralité.
Bonne lecture
Contexte et rôle de la FREMM « Provence »
La FREMM (frégate multi-missions) est un des bâtiments majeurs de la Marine nationale, capable d’opérations dans divers domaines : lutte anti-sous-marine, défense aérienne, frappe à terre avec le missile de croisière MdCN, etc.
Elle se distingue par sa discrétion (acoustique, électromagnétique, infrarouge), son haut degré d’automatisation, et l’intégration d’un Data Hub embarqué (DHE) pour le traitement des données opérationnelles.
Les enseignements tirés de la guerre en Ukraine
Le CV Forissier insiste sur l’importance de bien connaître la menace, classique ou innovante (ex. drones).
Le partage des retours d’expérience (RETEX) en boucle courte est crucial : les unités en entraînement doivent bénéficier rapidement des leçons des unités déjà en opérations.
L’entraînement, la réactivité dans l’adaptation des procédures et des systèmes embarqués sont également des axes essentiels.
L’exercice Wildfire est cité comme exemple d’entraînement à des attaques combinées (surface/air) pour tester les tactiques et moyens de riposte.
Engagement en mer Rouge face aux attaques houthies
Depuis fin 2023, la milice Houthi a visé des navires civils et militaires dans la mer Rouge avec des missiles antinavires, missiles balistiques, drones aériens et de surface.
Les drones de surface peuvent être déguisés en bateaux de pêche pour tromper les systèmes de détection.
La Provence a utilisé ses moyens de détection (radars, systèmes optroniques, alerte avancée pour les missiles balistiques) et son système d’armes (mitrailleuses, canon de 76 mm, missiles Aster, hélicoptère embarqué) pour neutraliser les menaces.
Interrogé sur le coût d’un missile Aster pour abattre un drone (souvent critiqué), il rappelle que protéger la vie des marins et assurer la liberté de navigation justifie l’usage de systèmes coûteux si nécessaire.
Réaction de l’équipage, résilience et préparation psychologique
Beaucoup de marins faisaient face pour la première fois à une menace permanente. Ils ont cependant bien réagi, grâce à leurs entraînements antérieurs (drills) et à la confiance envers leur matériel et leurs équipiers.
La dimension humaine est abordée : préparation mentale, sport à bord, activités de cohésion, soutien médical et spirituel (aumônier) contribuent à maintenir la résilience collective.
Enjeux futurs : haute intensité, technologies et coopération
Le retour de la « guerre de haute intensité » est évoqué : cela signifie affronter un adversaire étatique disposant d’armes équivalentes.
Parmi les technologies qui pourraient transformer le combat naval :
- les drones (aériens, de surface, sous-marins), surtout en essaims
- les armes à énergie dirigée (laser)
- les armes hypersoniques, difficiles à intercepter
- la cyberguerre : protéger les systèmes navals face aux attaques informatiques
- l’intelligence artificielle (IA), pour raccourcir la boucle décisionnelle, libérer les opérateurs de tâches automatisables, mieux exploiter les données, etc.
La Provence est la première frégate à embarquer le DHE, et l’IA commence à être intégrée dans le traitement des données et la génération rapide de rapports.
Toutefois, le CV Forissier ne croit pas aux navires de surface entièrement autonomes à court terme. Il imagine plutôt une complémentarité entre navires habités et navires autonomes.
Enfin, pour maintenir l’efficacité dans le temps, la marine française dépendra de coalitions internationales : interoperability, standards communs, intégration rapide (plug and fight) sont déjà des réalités selon lui.
















